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Titel
Pestalozzi. Au coeur du tournant pédagogique


Autor(en)
Tröhler, Daniel
Erschienen
Lausanne 2016: Antipodes
Anzahl Seiten
155 S.
von
Olivier Meuwly

Le prestige de Johann Heinrich Pestalozzi, au XIXe siècle, fut immense. Dans ce siècle épris d’éducation où l’école s’impose comme le lieu magique à travers lequel se forme la conscience citoyenne, dans ce siècle au cours duquel les États nationaux se constituent, Pestalozzi se dresse comme un phare vers lequel les artisans d’une pédagogie adaptée aux attentes des temps nouveaux tournent tous leurs regards. Daniel Tröhler a le grand mérite, dans son livre à la fois passionnant et ramassé, de bien mettre en perspective l’action et la personnalité de Pestalozzi, à un moment historique qui a fait sien la notion de progrès. L’être humain est jugé perfectible et son destin dépendra dès lors de ce qu’il apprendra dès son plus jeune âge.

Si sa vision de l’école est moins révolutionnaire de celle que ses admirateurs, fort nombreux, ont longtemps cru, Pestalozzi a fini par incarner le «tournant pédagogique» qui se dessine entre la fin du XVIIIe siècle et le début du siècle suivant. Mieux que quiconque, à travers son oeuvre littéraire, philosophique ou de pédagogue, le Zurichois parvient à offrir une synthèse très élaborée entre les aspirations républicaines de sa jeunesse dans la Zurich des Lumières, les mutations d’une société capitaliste en phase ascendante et, enfin, les élans romantiques théorisés par l’idéalisme allemand. Chantant, avec ses amis étudiants de l’«Athènes de la Limmat », la puissance dévastatrice d’une vertu républicaine innervée par l’enseignement de Zwingli, Pestalozzi trace les plans d’une pédagogie rénovée capable d’armer le sens moral des enfants.

Le monde en construction a en effet besoin, et plus que jamais se convainc-t-il, de magistrats dotés d’une vocation éthique à toutes épreuves: sa «Méthode» doit catalyser ces efforts. Peu importe si l’on vit dans une république démocratique ou dans une monarchie éclairée, ce qui compte est la valeur morale du personnel dirigeant ; le Zurichois ne cachera d’ailleurs pas son profond respect pour Joseph II. Cette approche éloignée de tout militantisme politique explique le succès de son discours au Danemark ou en Prusse, ce dernier Etat sachant puiser dans la pensée de Pestalozzi les ferments de ses futures grandes réformes que les Scharnhorst, sur le plan militaire, ou Humboldt, sur le plan académique, impulseront après les défaites enregistrées face à Napoléon.

En définitive, et ce constat ressort bien de l’ouvrage de Daniel Tröhler, par le message moral qu’il entend distiller à travers son travail acharné et désintéressé, Pestalozzi, – pédagogue charismatique et adulé – apparaît davantage comme un réformateur social de grande ampleur. En préparant le discours sur l’Ecole qui sous-tendra les décennies ultérieures, il place l’éducation au fondement d’une société apte à ne pas abandonner ses membres les moins bien lotis sur le bord du chemin. Loin d’une formation articulée autour de l’absorption brute d’un savoir soustrait à la dimension psychologique de l’apprentissage, adepte d’une formation professionnelle solide pour les enfants les plus pauvres, Pestalozzi, malgré ses échecs, ne perd jamais de vue le bien-être de la société, garantie de l’épanouissement de tout individu.

A Stans, où il se voit confier l’accueil des orphelins que les armées françaises ont laissés dans les vallées obwaldiennes, à Berthoud ou à Yverdon, où son institut ouvre en 1805, Pestalozzi s’accroche à sa mission. Avec de grandes déconvenues parfois. Il souffrira longtemps du dédain dont il s’estime l’objet, en dépit de la reconnaissance internationale qui l’entoure. Peu doué pour la gestion des établissements dont il a la charge, toujours confiné dans de graves difficultés financières, Pestalozzi demeure la figure de proue d’une Europe nouvelle vouée au savoir et à la science. Sans cacher les failles du personnage et attaché à l’inscrire dans l’histoire des idées de son temps, le livre de Daniel Tröhler constitue une contribution importante à la compréhension des enjeux intellectuels du début du XIXe siècle.

Zitierweise:
Olivier Meuwly: Daniel TRÖHLER: Pestalozzi. Au coeur du tournant pédagogique, Lausanne: Antipodes, 2016,. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 255-256.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 255-256.

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